Je courrais dans les couloirs à la poursuite d’Accaris. Mon collier se trouvait dans ma poche. Le fourbe me l’avait volé, lançant ainsi le jeu. Nous avions beau être nés le même jour, il était bien plus rapide que moi. Je soulevais ma robe qui me gênait grandement, malheureusement c’était trop tard. Je me prenais les pieds dans celle-ci et finissais sur le sol. Un éclat de rire et mon jumeau disparaissait dans l’une des pièces. Une larme coulait le long de ma joue. « Darina ! » la voix sévère de ma mère se fit entendre. Je me levais comme si de rien n’était, mais la poussière sur mes vêtements et la boue sur mes chaussures traduisaient mon méfait. « Ne devrais-tu.. » Je baissais la tête à la fois honteuse et vexée. Je ne supportais pas les reproches, c’était pire que tout. « Pardonnez moi. » murmurais-je, pressant le pas jusqu’à l’endroit où je devais être : avec les autres jeunes femmes à apprendre la broderie.  Ma mère me répétait que ce n’était pas digne d’une fille comme moi. Je ne comprenais pas vraiment ce que cela voulait dire… Pas encore.

Je retenais ma respiration, tentant de garder une attitude la plus digne possible. La tête haute, je regardais autour de moi. Je me trouvais derrière la harpe, face à mon père et le reste de la famille. Je jouais devant eux pour la première fois et j’étais stressée. Une erreur n’était pas envisageable.  Je commençais à glisser mes doigts le long des cordes. Les premières notes mélodieuses sortirent. J’avais un don pour la musique et me laissais rapidement transporter. Je me concentrais et laissais mes doigts vagabonder. Les dernières notes s’élevèrent. Je retenais à nouveau mon souffle. Mon père venait d’applaudir. Un grand sourire se dessinait sur mon visage. Avoir un compliment de sa part valait des heures et des heures d’entrainement.  Il avait toujours été plus proche de ma très chère sœur ou de mon frère. Je vivais dans leurs ombres. Notre entente était plus cordiale… Avec ma mère c’était différent. Je voyais la fierté dans ses yeux, la douceur dans ses gestes. Je passais énormément de temps à ses côtés. Ma mère connaissait chaque détail de ma vie, elle guidait chacun de mes pas. Elle croit en moi : Un jour, je serai la fierté de la famille. Un jour, je serai reine.

« Danaelle. Tu as vu ! Danaelle ! » Je sautais de joie. Ma première flèche venait de décoller. J’étais encore très loin d’atteindre une cible mais c’était déjà un début. Voilà des semaines que je me battais pour placer correctement la flèche, pour tendre la corde… Ma sœur aînée avait décidé de m’apprendre à tirer à l’arc. Une idée totalement saugrenue. Je ne comprenais pas en quoi cela pourrait me servir un jour, mais j’avais accepté sans sourciller. J’aimais passer du temps à ses côtés. Elle passait sa main sur mon visage.   « Bientôt je serai capable d’attendre l’arbre là-bas. » Bien entendu, nos entraînements étaient secrets. Jamais ma mère n’aurait accepté une telle folie. Les hommes se battent, pas les femmes. Ce n’est pas notre rôle. Je prenais l’arc en main et faisais une dernière tentative. Un véritable échec qui causa l’hilarité de ma sœur. Je lançais l’arme et tournais les talons, retournant jusqu’à notre demeure. Le jour suivant, je faisais une nouvelle tentative… Encore et encore…

Je me mordillais la lèvre inférieure. Mon regard était plongé vers mon repas. Je n’osais pas parler. L’atmosphère était terriblement tendue. Le départ de Danaelle, sa fuite avait laissé un tour béant dans le cœur de mon père, avait rendu ma mère folle de rage tout comme le reste de ma famille. Le déshonneur s’abattait sur notre famille. Mon grand-père blessé dans son égo, quitta la table après avoir frappé du poing pour quelques broutilles. Une fois le repas terminé, je fus raccompagné dans ma chambre par ma moitié, mon jumeau. Nous avions besoin l’un de l’autre. Je le voyais déjà s’emporter. Je prenais sa main. « Calme toi. » lui ordonnais-je d’une voix pourtant calme et délicate. « Tout n’est pas perdu. Nous serons à la hauteur. » Je passais ma main sur son visage. L’honneur de la famille reposait sur ses épaules et à la fois sur les miennes. Nous devions nous élever.

Je travaillais l’art de la danse avec ma mère. Je tournais sur moi-même avec grâce et attrapais à nouveau sa main. Je connaissais par cœur chacun des pas. Un avantage en ce jour, où j’étais bien songeuse. Le départ de ma sœur avait laissé un grand vide dans ma vie. Adieu les discussions légères et les moments d’évasions. « Viens t’asseoir ma douce enfant. » J’obéissais sans poser de question. Elle saisissait une mèche de mes cheveux et les envoyais derrière mon épaule. « Tu es une merveille ma fille, notre fierté. » Je rougissais flattée mais je savais parfaitement que cela cachait quelque chose. « Un jour tu seras reine… Tu as tout pour être reine… La beauté, Les manières, la douceur… Tu seras une merveilleuse épouse. Ton époux sera comblée par ta seule présence. » N’est-ce pas pour cela que j’avais été élevé ? Je cachais mes craintes. J’avais peur de ne pas être à la hauteur des espérances toujours plus grande de ma mère. Mon frère était la seule personne au courant de cette crainte secrète. « Je ne vous décevrai pas. » Un sourire illumina le visage de ma mère, je me blottissais dans ses bras tel un enfant. Mon destin ne faisait que commencer.